Les questions de pauvreté ont commencé par être
traitées, au Moyen-Âge, à travers la jurisprudence, par les juristes. La
question de la pauvreté a été à ce moment-là, à plus proprement parler,
l’occasion de l’émergence d’une discussion entre la jurisprudence et la loi.
Dans son fonctionnement le plus basique, le Droit était questionné sur 1) son
efficacité 2) son objectif d’interprétation de la pauvreté comme enjeu social
d’importance croissante. C’était bien le Droit qui, à cette époque, mobilisait
tout ce qu’on pourrait appeler, la confrontation à l’émergence de nouvelles
pratiques sociales. On ne peut pas parler, à cette époque, d’une philosophie
politique qui ferait de tout un chacun un acteur politique. Les échanges d’un
pays à un autre, avec d’ailleurs une analogie lointaine pour nous,
contemporains, étaient menés par des acteurs dont les possibilités monétaires
quantitatives étaient le plus élevées. Ces échanges ne souffraient pas
d’interférence avec les réseaux sociaux non directement impliqués dans ces
échanges. Le Droit, pratiqué à l’époque par des théologiens, donc des éthiciens,
était l’organisation théorique et textuelle qui devait prendre en charge les
réseaux sociaux et leurs interférences pathologiques.
« Pas du "droit de l’homme", de la
jurisprudence. C'est-à-dire qu’il n’y a pas de droits de l’homme, il y a des
droits de la vie : le cas par cas » (Gilles Deleuze, L’Abécédaire).
La jurisprudence consiste à trouver des
interprétations, des narrations qui catégorisent les situations dont on doit
traiter. Si le droit est assujetti à la loi, on ne peut espérer que la
jurisprudence puisse faire varier ces narrations. C’est pourquoi on ne peut pas
espérer venir en aide aux « pauvres », dans toute leur diversité, par
des lois, des décisions et des mandats envoyés de loin. Encore moins de
l’argent. Plus encore que d’être une aide fondée sur la prétention à la
globalisation étendue et détaillée de la finance, l’aide au développement sous
sa forme monétaire pose problème dans la mesure où elle instaure avec les
groupes « pauvres » une relation sociale univoque[1],
et à la fois trop imprécise. Univoque, parce que le prêt ou le don d’argent est
une injection qui a toujours les mêmes conséquences. L’autonomie de la
« monnaie », sa fluctuation vaporeuse, surtout dans les cas
d’échanges de grande quantité, consiste à faire partir un cycle caractérisé par
une certaine régularité : l’encadrement de cette aide à la fois par des
règlements d’experts, des organisations gestionnaires des flux de monnaie, et
les lois qui accompagnent ces décisions de « connexion sociales
internationales », se présentent selon le canon de l’injection de capital,
avec risques, investissement et intérêts à plus ou moins long terme. D’autre
part, cette aide est imprécise. On ne peut pas fonder une organisation sociale
complexe telle que celle d’un Etat « pauvre » en commençant par une
certaine quantité d’argent à se partager. La mystification de la monnaie comme
étant le moyen de tout est du même ordre que la mystification du texte de loi
ou de réforme comme étant le moyen de modifier les rapports sociaux dans une
certaine communauté – on pourrait se permettre la comparaison avec la
mystification des textes sacrés pour légitimer les lois, au Moyen-âge. La
pauvreté, dans son essence a-politique, est bel et bien le fruit de certains
rapports sociaux et de leurs agencements, en fonction de buts établis sur des
motifs qui dépassent de loin la question de la distribution de la monnaie.
Le
désir ne peut se réaliser que dans une situation particulière. Des décisions
d’expertise ne peuvent pas parvenir à la satisfaction d’un quelconque désir.
Pour réaliser ce désir, il faudrait se rendre capable d’intervenir dans la
situation pour faire parvenir à l’existence son monde, le monde tel qu’il le
constitue en tant que contexte doté de réseaux qu’il faut poser à l’existence.
Il faudrait rendre possible à tout un chacun de développer sa vision globale du monde, qui n’est pas
le produit d’une contemplation, mais une création, une compromission à créer
des connexions inédites. Non pas inédites parce que nouvelles, spectaculaires,
mais nouvelles de par leur lente construction, leur reconfiguration, leur territorialisation, et de par l’acte
même qui rend cette création absolument mobile et mouvante dans son existence
même, en phase avec celui qui se réalise alors.
Il faut
pouvoir penser à partir d’un élément qui fait problème, d’une situation, d’une
orientation, d’une forme de désaccord total et profond avec un certain aspect
du monde tel qu’il se manifeste, dans ce qu’on en subit.
La pauvreté serait ce moment limite où l’on constate que le monde tel qu’on le subit ne peut s’affirmer comme une réalité atemporelle, et que la résolution de la situation d’indigence est par essence constituée par le risque, qu’on perçoit, de perdre la conscience profonde et authentique d’une imperfection structurelle dans la situation que l'on est en train de vivre.
C’est pourquoi la vie politique n’est possible qu’en association dialogique d’un nombre restreint de personnes. L’explication d’une situation en termes de déterminismes sociaux ou politiques dans leur rôle justificateur n’est pas un facteur déterminant de l’activité politique, « culturelle », d’une communauté qui par son activité, par son investissement inévitable dans la vie, dans son caractère le plus trivial, ne peut ériger des solutions de caractère planificatoire, et se trouve alors dans une situation d’esclavage caractérisé. La fétichisation de ces raisonnements planificatoires est au centre d’une illusion fondamentale concernant la vie de la société. On ne peut penser la vie de la société hors de l’existence centrale de connexions sociales non médiatisées par le monde matériel. C’est dire que la vie sociale ne repose pas sur une organisation politique des groupes et de leurs intérêts, mais sur la fluctuation que ni médias ni partis ne peuvent toucher, fluctuation des créations et des destructions de rapports sociaux dans les sphères les plus anodines de la société : les conséquences d’une trop grande planification sur ces rapports peuvent être désastreuses – c’est la possibilité de leur occasion même qui est menacée par un pouvoir de type planificatoire et répressif. Aucune instance ne peut transcender les rapports entre les hommes, pas même l’argent ou la ressource matérielle dans son ensemble. Ce qui ne parle pas n’a pas de pouvoir. Le risque, c’est que l’appauvrissement n’est pas uniquement matériel ; il est d’abord et avant tout appauvrissement de la conscience, de son pouvoir d'action, et de son pouvoir de jugement de soi-même et du monde.
La pauvreté serait ce moment limite où l’on constate que le monde tel qu’on le subit ne peut s’affirmer comme une réalité atemporelle, et que la résolution de la situation d’indigence est par essence constituée par le risque, qu’on perçoit, de perdre la conscience profonde et authentique d’une imperfection structurelle dans la situation que l'on est en train de vivre.
C’est pourquoi la vie politique n’est possible qu’en association dialogique d’un nombre restreint de personnes. L’explication d’une situation en termes de déterminismes sociaux ou politiques dans leur rôle justificateur n’est pas un facteur déterminant de l’activité politique, « culturelle », d’une communauté qui par son activité, par son investissement inévitable dans la vie, dans son caractère le plus trivial, ne peut ériger des solutions de caractère planificatoire, et se trouve alors dans une situation d’esclavage caractérisé. La fétichisation de ces raisonnements planificatoires est au centre d’une illusion fondamentale concernant la vie de la société. On ne peut penser la vie de la société hors de l’existence centrale de connexions sociales non médiatisées par le monde matériel. C’est dire que la vie sociale ne repose pas sur une organisation politique des groupes et de leurs intérêts, mais sur la fluctuation que ni médias ni partis ne peuvent toucher, fluctuation des créations et des destructions de rapports sociaux dans les sphères les plus anodines de la société : les conséquences d’une trop grande planification sur ces rapports peuvent être désastreuses – c’est la possibilité de leur occasion même qui est menacée par un pouvoir de type planificatoire et répressif. Aucune instance ne peut transcender les rapports entre les hommes, pas même l’argent ou la ressource matérielle dans son ensemble. Ce qui ne parle pas n’a pas de pouvoir. Le risque, c’est que l’appauvrissement n’est pas uniquement matériel ; il est d’abord et avant tout appauvrissement de la conscience, de son pouvoir d'action, et de son pouvoir de jugement de soi-même et du monde.