Le mouvement Occupy et l’esprit du temps
L’esprit du temps (Zeitgeist). Ce mot a une grande valeur pour lui-même, et pas uniquement pour le buzz généré par le film. Qu’est-ce que c’est, selon Hegel ? Le « zeitgeist » est le climat culturel et intellectuel d’une époque.
Leçon numéro 1 : nous sommes désormais un réseau de gens qui sont égaux devant la prise de parole, parce qu’Internet, sous sa forme libre, existe encore – pour combien de temps ? Il est donc de notre devoir d’inventer nos propres mondes.
L’esprit du temps n’est plus à la mise en valeur de personnalités charismatiques, du moins pas dans l’espace politique, ce nouvel espace politique que nous sommes en train de créer pour remplacer l’ancien. Les confiances échaudées ressentent confusément une certaine fausseté du pouvoir politique, qui malgré les déclarations démocratiques connaît comme jamais l’avènement et la suprématie du mensonge, ou du moins de la constante suspicion du mensonge dans les pratiques politiques. Sinon, ce discours est tout simplement trop complexe pour pouvoir en saisir ses motivations réelles. Pourquoi la croissance économique est-elle plus importante que la lutte contre le chômage et la pauvreté, que les gouvernements soient à « gauche » ou à « droite » ?
Le mouvement Occupy présente à cet égard une réappropriation très intéressante de l’agir politique, et il convient d’en souligner l’importance avant que les discours médiatiques et les années nivellent l’importance du mouvement à celle d’un Woodstock édulcoré, ou que les participants au mouvement se résignent, comme le craint Slavoj Zizek, à tomber amoureux du souvenir de l’expérience – comme on se remémore une bonne soirée à boire de la bière entre amis.
Ce qui est unique en son genre, dans le mouvement Occupy, c’est de replacer l’action en son sens le plus élémentaire comme élément signifiant central du politique : le fait de se placer en action dans la situation de pauvreté (pas de logement, dépendance vis-à-vis de la nourriture, difficulté de subsister à des besoins élémentaires comme pisser et chier et se laver), de placer le fondement du geste activiste dans cette situation, EST UNE MANIERE de dépasser le manque de force des idéaux « proférés » en politique et de donner une force « idéale » à l’action sociale.
Cette situation de pauvreté, un grand nombre de gens ont décidé, en conscience, de la vivre de manière « virtuelle », mais manifeste, de se placer, qui qu’on soit, dans le décor de ceux qui vivent réellement dans la rue. Ainsi, cette situation n’est plus une simple évocation spectaculaire, ou la présentation publique d’une « opinion » politique. Non seulement une prise de parole publique s’est initiée, mais l’expression concrète des problèmes sociaux les plus terribles a été rendue traversable par l’opinion des gens non seulement qui y participent, mais qui en sont témoins. En traversant cela, on réalise par la même occasion qu’on n’a pas besoin d’autre chose que de s’entraider pour apporter à une communauté tout ce qui lui est nécessaire. C’est déjà rendre l’action plus éloquente que le langage, et avoir ce courage de dire vrai à travers le choix, la manifestation, la démonstration, de la situation d’extrême pauvreté que traverse une majorité de la population non seulement des pays en voie de développement, mais tragiquement aussi des pays occidentaux dans leur ensemble. L’idéal et l’action enfin synchronisés ? En tout cas il est temps d’en tirer parti, et de continuer à inventer sur la voie que le mouvement a initiée.
Si les partis politiques sont discrédités de nos jours, et aussi les formes traditionnelles de l’action sociale, c’est parce qu’il est tout à fait possible d’inventer des nouveaux liens politiques entre les gens, des liens qui créent des œuvres nécessaires à la survie sans qu’aucune organisation n’ait besoin d’y pourvoir massivement. C’est là la force de la décentralisation. Le discours d’appréciation des mouvements politiques qui se place au niveau de l’événement, de la saga, ou pire, de l’application unilatérale de projets sans consultation, ca ne marche pas. Le discours qui rend significatif un événement doit se hisser à la hauteur de la nouveauté des interactions sociales. Il existe un nouvel espace politique depuis peu. Et il est important de souligner sa nature. C’est l’objet de ce manuel.